Rumengol
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- la Source enchantée
- Terre d’armor
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- la Cité dolente
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- Nuit insulaire
- Chanson de marche
- Entre Plomeur et Plovan
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- En mai
- la Chanson du vent de mer
- À Paimpol
- Écrit par un clerc lettré
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- Saint Yves
- Évocations
- À Quimperlé
- Noël de Bretagne
- Chanson du vent qui vente
- Chanson du rocher qui marche
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- En novembre
- Sône
- la Chanson des pêcheuses de nuit
- le Chant des vieilles maisons
- Sur le chemin d’exil
- Francéa Rannou
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- À la grand’messe
- Chanson de bord
- un Manuscrit
- Tout le long de la nuit
- Sône
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- Nuit d’étoiles
- Jeanne Lezveur
- Vœu
- Le long de ma route
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- la Chanson de l’amour
- Extrait d’un vieux livre
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- Chant de mer
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- Jean L’Arc’hantec
- Cimetières intimes
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- À la sortie de l’école
- Ballade
- Dans la grand’hune
- Sône
- Chanson blanche
- Rumengol
- Chaume d’Islandais
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- Après vêpres
- Nos morts
- Rêve
- le Chant des nuages
- le Chapelet d’angoisse
- le Temps des saintes
- la Chanson de notre reine Anne
À Léon Marinier
C’est un bruit murmurant d’oraisons qu’on fredonne.
Des gens passent, pieds nus, qui viennent de très loin
Qui viennent des confins de la terre bretonne
Fêter à Rumengol Notre-Dame de Juin.
L’âme de la lumière au firmament surnage,
Comme si, dans la nuit, la douce nuit d’été,
Le pays de prière et de pèlerinage
Devait rester vêtu de candide clarté.
L’ombre, comme une mer, s’élargit et s’épanche ;
Elle a déjà noyé les hauteurs d’alentour,
Mais la colline sainte est comme une île blanche
Que baigne un jour d’ailleurs, un indicible jour.
Un angélus discret, par la campagne éteinte,
Guide les laboureurs, les pâtres, les marins,
Et le ciel s’attendrit à cette voix qui tinte,
Et les nuages même ont l’air de pèlerins.
****
Sous l’if du cimetière, un mendiant épique,
Un barde primitif, un sauvage inspiré
Se lève, et dépouillant sa veste en peau de bique,
Hurle au vent de la nuit le cantique sacré.
« Qu’il vienne à Rumengol, quiconque a besoin d’aide !
Une source divine a jailli hors du sol.
Le lys immaculé, la fleur de Tout-Remède,
Notre-Dame de Juin fleurit à Rumengol ! »
Il dit. Sur les tombeaux des foules sont assises,
Coiffes de chanvre bis, feutres aux larges bords ;
Et l’on ne sait, à voir ces formes indécises,
Si ce sont des vivants ou si ce sont des morts.
Au loin, les prés sont clairs, étoiles par les tentes
Où des feux de bergers veillent sur les dormeurs.
La nuit monte, éployant ses ailes palpitantes ;
Le sonore silence est peuplé de rumeurs.
Bêtes et gens, ce soir, ruminent côte à côte ;
Leur rêve fraternise au même lit herbeux,
Quand les hommes ont dit la prière, à voix haute.
Par de longs meuglements ont répondu les bœufs.
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Alentour de l’église, aux lueurs d’une torche,
Des ombres à genoux accomplissent un vœu.
Le chanteur de chansons, allongé sous le porche,
A l’air noble d’un mort sculpté dans un enfeu.
Des corps, des corps en tas, sont vautrés sur les dalles ;
Leur sommeil susurrant semble prier encor,
Et leur haleine fume, à d’égaux intervalles,
Comme un encens humain devant la Vierge d’or.
Du haut de son pilier, la Vierge guérisseuse,
La fleur de Rumengol sourit, les yeux noyés,
Et chantonne on ne sait quelle exquise berceuse
A ce grand peuple enfant qui sommeille à ses pied.