À Quimperlé
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À Edouard Schuré.
I
Elle est vieille et vaste, la chambre.
Le lit de passage où je dors
A, ce soir de premier Novembre,
Je ne sais quoi qui sent les morts.
Les rideaux, d’altitude roide,
Descendent à plis empesés,
Et des souffles de tombe froide
Rampent le long des draps glacés.
La pendule, verte de mousse,
Tinte des heures d’autrefois ;
On dirait une voix qui tousse
Pour faire taire d’autres voix.
Et c’est bientôt un grand silence,
Un silence lourd et profond
Où, dans le vide, se balance
Une ombre accrochée au plafond.
La chambre est vieille, vaste, haute…
Ce soir, si j’ai bien entendu,
Les gens contaient à table d’hôte
Une aventure de pendu…
II
Comme en un sursaut d’épouvante,
L’âme des meubles a gémi…
On vient d’entrer… c’est la servante :
– Doux maître, avez-vous bien dormi ?
Elle fait claquer les persiennes,
Et l’aube du jour automnal
Met sur les choses anciennes
Son blanc sourire virginal.
Et, dans la chambre vieille et vaste,
Mon cœur se ranime, frôlé
Par cette odeur de pays chaste
Qui se respire à Quimperlé.
L’eau gazouille dans les rivières ;
Des cloches tintent aux moustoirs ;
Et le caquet des lavandières
Semble mousser sous les battoirs.
Sur la pointe du pied dressée,
La fille, au dehors se penchant,
Jette à quelqu’un, par la croisée,
Son breton rythmé comme un chant.
Breton joli des Quimperloises,
Qui, de leurs lèvres, grain à grain,
En perles fines, en turquoises,
S’égrène ainsi que d’un écrin.
Et tandis que la belle épanche
Son parler clair, si doux, si lent,
Le vent trousse sa coiffe blanche
Gomme une aile de goéland.
Et voici qu’en ma songerie
Toute vague encor de sommeil,
Je crois soudain que c’est Marie
Qui me salue à mon réveil.
Suave, avec son air de nonne,
Dans la ville de la Lêta,
M’apparaît Maï la Bretonne
Que Brizeux en France chanta…
III
Maï, la servante d’auberge,
Te ressemblait comme une sœur.
Elle avait tes yeux fins de vierge,
Ta beauté sobre, ta douceur.
Une senteur fraîche et subtile
De son cou jeune s’exhalait,
Et c’était ce parfum d’idylle
Qu’ont en Kerné les « fleurs de lait ».
Comme au soleil naissant se lève
Le brouillard qu’a tissé la nuit.
Ainsi la brume de mon rêve
A son regard s’évanouit.
Plus de chambre morne, oppressée
Par on ne sait quelle stupeur !
Plus d’ombre grise balancée
Au vent suggestif de la peur !
Non ! Des perspectives lointaines,
Un ciel voilé, mais transparent ;
Et dans la clarté des fontaines
Un pays grave se mirant ;
Une atmosphère impondérable
De paradis élyséen.
Et l’oraison d’un misérable
Mêlée à l’aboiement d’un chien…
Des vieilles aux rides sévères
Vont pieds nus accomplir un vœu…
Pays hérissé de calvaires,
Par une race ivre de Dieu ! …
Dans les sonores étendues
Vibrent des cloches et des chants ;
Et des fermes inattendues
Se lèvent du milieu des champs ;
Des murs bas coiffés de vieux chaume,
Telle une ruche en un courtil.
Tout à l’entour, la terre embaume
L’odeur de miel, l’odeur d’avril.
C’est ici le printemps celtique
Où l’âme des eaux et des bois
S’épanouit en fleur mystique
A l’arbre même de la Croix.
Ici, dans sa grâce première,
Entre les talus éblouis,
On voit cheminer la lumière
Comme l’ange blond du pays.
Ici, dans les demeures closes,
Habitent les songes heureux.
Et, sur la molle paix des choses,
Flotte encor l’âme de Brizeux.